Textes

­­Amère Amérique

Un événement sanglant et spectaculaire, c’est encore un moyen de dominer le monde. L’anti-américanisme n’est pas à court d’idées. Le cynisme qui est une variante de la méchanceté fleurit aux balcons des laboratoires de recherche et la France est bien placée dans la production des thèses ayant trait au complot.

Résumons. L’idée fait état d’un plan américain, d’une stratégie mondiale non divulguée, d’un dessein diabolique contenu, adapté dans sa forme moderne et qui a pour nom : esclavage, asservissement. Conviction particulièrement répandue dans les milieux les plus divers. Nous sommes en liberté surveillée. D’autres sont tout juste admis à jouer un rôle de figuration sur la scène du Grand théâtre mondial des Marionnettes, chasse gardée de l’Oncle Sam qui fait main basse sur notre destin. Il est devenu en peu de temps un expert sur les questions vitales pour l’avenir de l’humanité. Il veille, surveille et puni au besoin.

L’ordre du monde est américain, n’importe quel gamin de banlieue le sait. Et pour preuve, il devient intarissable quand il s’agit de pointer le nom des biens matériels, culturels soutenus par une technologie sex soit disant maitrisée.

Nous sommes devant un danger inconnu. Ce Père Noël est bien plus qu’une ordure. Il déverse sa hotte d’un type nouveau et de façon pernicieuse. Finies les cheminées de Papa ! Tout passe désormais par câbles matériels et immatériels franchissant les airs, les mers, les continents. Le Grand Méchant Loup a quitté le lit de Grand Maman pour prendre la forme d’un poste de télévision qui dit Hello quand on le touche.

Le plan de domination a si bien pris racine dans les mentalités qu’un acte de dévastation perpétré sur la ville de New York n’aura suscité qu’une émotion relative.

Question. Ce qui se perpètre dans la maison du maître ne concerne-t-il pas les esclaves ?

Réponse. Oui modérément.

Ainsi les victimes américaines donnent l’occasion à toutes les causes sou médiatisées de rappeler au monde leurs morts trop anonymes, morts de valeur inférieure comparée à ceux du 11 septembre. Tous les matins, les ben Laden disparaissent dans la poussière des villes pour mieux nous frapper. Mais qui s’en soucie demande un journaliste en poste à Alger ?

Rien n’y fait. Un américain malheureux, ça n’existe pas. C’est une contradiction dans les termes. Le malheur n ‘est pas accessible à qui veut. Il est réservé au Tiers-Monde qui en fait un bien, une enseigne, un signe identitaire.

Digression. Le malheur, on dit qu’il n’arrive jamais seul.

La psychanalyse insiste sur la responsabilité du sujet. Tout homme est à même de se protéger des dangers qui le menacent mais inversement, il peut être à l’image d’une ville sans défense, une ville ouverte dans laquelle les névroses s’installent dans les quartiers mentaux les plus exposés. La psychanalyse instaure un état de siège dont le but est de neutraliser, voire de déloger lesdites névroses. Etat de siège et résistance, la situation durera des années, sans garantie de succès.

Le monde a lui aussi son inconscient où s’abritent ses pulsions mortelles.

Ben Laden est au monde ce qu’un forcené bardé d’explosif est à la petite ville de province : l’un comme l’autre ont un message personnel de Dieu dans leur poche qu’ils lisent dans la cour de l’école, au micro d’une télé locale :

Et une colonne de feu s’éleva du milieu de la ville

Et le royaume des méchants s’effondra en un grand bruit

Face au plan impérial du Méchant loup, il n’y a que Dieu.

Dieu recrute pour de nouveaux projets. Il entend permettre aux hommes de le glorifier d’une foi nouvelle. À leur tête, on reconnaitra des missionnaire d’un genre nouveau, les Martyrs d’origine. Ils donnent leur sang très abondamment en des lieux où de nombreuses personnes donneront aussi le leur. Ainsi chaque Martyrs d’origine rejoint le royaume de Dieu accompagné par des dizaines, voire des milliers de Martyrs associés, hommes et femmes, enfants et grands parents qui ignoraient tout de ce départ inopiné au Royaume des Cieux.

Cette action ne se fait pas dans la concertation, qui n’est que ruse d’imbécile. L’expérience nous ensaigne : plus grande est la surprise, plus grand sera le nombre de Martyrs Associés. On ne dira pas assez la satisfaction des Martyrs d’Origine d’avoir été choisi pour écrire une nouvelle page sainte. Eux, les préférés de Dieu, ils sont apprentis pilotes spécialistes en virage, livreurs d’explosifs à domicile. Ils nous offrent l’occasion exceptionnelle de comprendre que la Justice divine n’a rien à voir avec la justice des hommes.

Le terrorisme actuel dégage une odeur d’éradication. La vie de chaque américain ne tient qu’au manque de moyens appropriés pour en finir. Tel est le grand message si bien envoyé par Oussama Ben Laden, celui par qui l’Amérique disparaîtra. Ses attaques ont visé la plus grande ville américaine, la tête de l’hydre, et il n’y avait pas le moindre innocent là-dedans. Un acte absolu muni d’un moteur à penser la destruction totale. Pour réussir pareille catastrophe, il faut bien une conviction génocidaire.

J’entends dire, Ben Laden, pur produit US. Arrêtons nous un instant sur ce terme qui sent la merde. Le terme produit appliqué à l’individu témoigne d’une authentique saloperie et d’une grande perversion. Le terme est issu du langage scientifique, mathématique et à ce titre, il lui donne une objectivité quasi scientifique. Rien de plus facile pour rompre les liens noués entre Histoire et Éthique. Rien de plus facile pour dégager la personne de ses responsabilités.

Rappeler une évidence est parfois indispensable quand tout vacille. Il y a une différence de taille entre le fait de fournir des armes et le fait de les utiliser contre une population.

Youval – 2001